Viendrait-il un seul instant à l’esprit du trio signataire de la Charte du Liptako-Gourma, Burkina, Mali et Niger de s’offusquer du franc CFA et d’en médire au point de songer à en sortir ? C’est de l’ordre du possible, venant de ceux qui, par cette Charte, font un aussi spectaculaire que superflu pied de nez musclé au vivre ensemble, lourdement chahuté, à la fois de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et surtout de l’Union monétaire ouest africaine (Umoa), conséquence d’une prise en charge inappropriée de la problématique des coups d’État dans la sous-région.
Pour rappel, les fonctions de vice-gouverneur ou numéro deux de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) ont depuis toujours été assumées par le Burkina et le Niger : toujours, depuis le dédoublement du poste de vice-gouverneur pour mettre en stand-by la rotation par État du poste de gouverneur. Le Mali, après avoir claqué la porte au lendemain de sa signature du traité de l’Umoa en 1962, y est revenu de lui-même en 1984 brinquebalant pour se refaire une santé totalement perdue avec des théories socialo-panafricanistes fumeuses et après des fréquentations russophiles ; il est depuis lors politiquement pantouflard dans la fonction de vice-président de la Banque ouest africaine de développement (Boad).
Que ces trois, Burkina, Mali et Niger se découvrent de nouvelles affinités pour faire palabres au franc CFA ne fait ni sérieux ni reconnaissant de la part de ceux-là mêmes qui doivent leur quiétude de bon voisinage à l’Umoa ; en effet, du temps de Thomas Sankara, Président du Faso, Burkina et Mali se sont fait la guerre, une vraie guerre comme entre israéliens et palestiniens mais avec des moyens de bord et de sous-développés, ne redevenant ami-ami qu’à la faveur du retour du Mali dans l’Umoa. Que de fois ne se sont-ils pas crêpés le chignon ces trois du Liptako-Gourma, au rythme des egos de ceux qui se présentent comme premier magistrat dans ces pays de putschistes !
Une union monétaire entre États souverains suggère un vivre ensemble complexe, en permanence difficile politiquement. En tout état de cause, elle ne se résume guère à la production d’un signe monétaire ; ce serait comme qui résume un pays et une nation à la symbolique d’un drapeau.
Le tout n’est donc pas de déployer une bannière monétaire ; il faudrait que les leaders révolutionnaires putschistes des pays de la Charte du Liptako-Gourma ou Alliance des États du Sahel (AES), à savoir le Burkina, le Mali et le Niger aient conscience qu’une monnaie relève surtout de la capacité à produire ou à disposer en amont de biens et services en quantité et en qualité. C’est l’une des raisons pour lesquelles dans le modèle du franc CFA, la création monétaire, qu’elle soit de la banque centrale ou des banques commerciales, est corrélée aux prévisions de produit intérieur brut, c.à.d. à ce qui est attendu chaque année comme production de biens et services dans le pays ; les hommes forts de la Charte du Liptako-Gourma et leurs idéologues qui pourfendent le franc CFA et son modèle le savent-ils ?
Pour disposer d’une alternative crédible au franc CFA et à son modèle, à même de préserver le pouvoir d’achat des populations les plus démunies, à même de limiter les désastres d’un dévoiement de la réglementation des changes au profit d’une élite, à même de contenir la corruption qui va avec l’assujettissement d’une banque centrale aux tenants du pouvoir etc., il faut être en capacité de concevoir des politiques publiques convaincantes, dans l’intérêt général, finançables et soutenables sur la durée. Les tenants du pouvoir au Burkina, au Mali et au Niger en sont-ils capables ?
Si le franc CFA et son vivre ensemble, qui auraient semble-t-il si peu apporté à leur pays, sont si toxiques à leurs yeux, sont-ils sûrs de proposer mieux, c.à.d. sûrs d’être porteurs d’une vision réaliste à même d’être traduite en croissance économique durable, créatrice d’emplois massifs et de revenus pour la jeunesse ? En ont-ils les moyens ? Ont-ils conscience que les problématiques de taux de change fixe et celles de garantie de convertibilité illimitée adossée à des accords de coopération avec la France sont des raccourcis à palabres entretenus par ceux qui n’osent guère s’attaquer aux vrais sujets sensibles des politiques publiques médiocres, de la corruption et de la mal gouvernance dans les États de l’Umoa irrespectueux de droits humains les plus élémentaires mais prompts à jouer aux faiseurs de paix ?
Personne n’a besoin de pousser les pays de la Charte du Liptako-Gourma, vers la sortie du franc CFA. Ils ont juste, chacun de leur côté, à adresser une correspondance pour la forme au Président de la Conférence des Chefs d’État de l’Umoa ; puis leur sortie sera actée, ainsi que leur prise de distance concomitante avec la Boad et l’Uemoa et sa Commission qui sont parties intégrantes du franc CFA de l’Afrique de l’ouest. Sortir de l’Umoa relève de formalités inconditionnelles réduites à une lettre d’information des États-parties.
En réalité, les pays de la Charte du Liptako-Gourma peuvent se passer de tout formalisme légal comme leurs dirigeants putschistes l’ont fait pour devenir Chef de l’État et Chef des armées. S’ils ne veulent plus être parties au franc CFA et à son modèle, il leur suffit de faire imprimer une nouvelle monnaie, une fois son design disponible, et d’appliquer les règles universelles de l’émission monétaire pour la mettre en circulation : ils ont déjà en place et les bâtiments et surtout le personnel, bien formé et très professionnel, pour lancer une nouvelle monnaie depuis leur banque centrale qui sera dorénavant l’ex Bceao. Bien entendu, c’est partant du fait que pour les autorités putschistes, leurs collaborateurs-idéologues et l’opinion publique non initiée, une monnaie est un sujet aussi facile que peuvent résumer un signe monétaire, sa dénomination et sa présentation en billets et pièces.
Trêve de plaisanterie politique oblige, ce serait une grossière erreur de plus au Burkina, au Mali et au Niger, pour des Dirigeants qui éprouvent les pires difficultés à conduire une transition consensuelle, de vouloir battre monnaie dans un contexte d’isolement croissant et tonitruant au plan diplomatique et macroéconomique et dans un environnement sécuritaire des plus préoccupants. Faudrait-il le leur rappeler ? La monnaie n’aime pas le bruit ; il y a plus urgent, plus simple et plus convenant à régler dans l’intérêt général au Burkina, au Mali et au Niger.
In fine, si l’Umoa, ce bouillon de culture et de solidarité monétaires, qui donne tant et tant aux États-parties, aux plans patrimonial, immatériel et du vivre ensemble en dépit des apparences, ne trouve pas grâce à leurs yeux, il y a peu de chance que ces trois-là, Burkina, Mali et Niger, se privent l’un pour l’autre dans la durée.
Vilévo DEVO