Auteur d’une dizaine d’ouvrages littéraires dont les titres en majorité rendent compte d’un élan de dénonciations, l’écrivain togolais résidant au Bénin vient de signer un roman aussi percutant que provocateur, « Devoir de statut quo : Courrier à un Président Absent ». Dans ce récent livre, il rend compte de ce qu’il appelle un statu quo général sur une Afrique malade de ses dirigeants comparés à des acteurs de haute comédie qui défilent à tour de rôle sans rien changer à la destinée de leurs peuples, et justement par devoir. Ils auraient donc souscri à un engagement qui ne dit pas son nom : celui de partir en laissant à chaque fois le statu quo tel qu’il était.
« J’étais convaincu de devoir te formuler cette lettre, tôt ou tard pour parler à ta conscience que d’aucuns estiment morte. J’ai surtout à le faire avant de devoir mourir, pas de cela, mais de ce que seul Dieu sait, et quand. ». Dans un roman épistolaire, un long courrier de 55 pages, un exilé d’opinion écrit au président qui est à la tête de sa République mère. Fou de rage, le signataire du courrier tutoie celui qu’il appelle son concitoyen.
« Ça fait dix ans que je suis hors de ta clôture, après avoir été jeté en pâture dans la gueule des lions. Je sais que tu ne le sais pas. Pourtant c’est du fait de toi. Tu rougis les yeux quand tu l’entends, mais tes éléments incontrôlés ont rendu la vie rude et invivable à des dizaines de milliers de concitoyens tout le long du demi-siècle, dont justement moi. Je m’appelle Tabé, originaire de la République neutre et démocratique des ignames et ignominies. ».
Alors confronté à l’irréversibilité d’un cycle karmique que traverse un peuple que des individus convoient malicieusement dans le décor, le narrateur avoue n’avoir trouvé mieux que de partir.
« Je suis un miraculé, sauvé de justesse par mes jambes au cou, jadis quand des inconditionnels caciques de ton despotisme républicain ont mis le feu à un temple du savoir qui devrait savoir entendre des franchises universitaires. ». De sa plume accusatrice, il estime que le destinataire de son courrier sert d’épouvantail pour les uns et de bouc émissaire pour les autres qui profitent à fond d’un système à plusieurs têtes invisibles.
« Tu es ce concept qu’ils agitent ouvertement et publiquement quand ils veulent faucher impitoyablement des vies innocentes. Alors que dans la réalité tu n’es pas là. Tu n’es pas présent dans le quotidien de la vie de la République qu’on dit que tu gouvernes. Quelle gouvernance pour quel impact social, économique ? Pour quel avenir ? Je ne sais pas ce que tu ressens quand tu y penses. Si réellement tu y penses. ». Le narrateur inscrit sa démarche dans la catharsis. Il met des mots sur ses maux, dix ans après tout ce qu’il a subi dans son propre pays. « Quant à moi j’écris pour me défouler, j’écris pour oublier un peu plus vite que sous l’effet du temps qui s’avère un peu trop long. Il m’a fallu suffisamment de temps pour oublier tout ce que j’ai vécu dans ton royaume. L’oubli même est relatif. ». Et de préciser ce qui l’a contraint à l’exil : « Monsieur le Président, je suis un exilé qui a fui ton système tueur et vampirisant. Je ne sais plus comment retracer l’historique de mon aventure. Pour faire simple, voici comment tout a commencé. Il fut un temps où j’ai remarqué que je me mettais en colère chaque jour. Je me fâchais plusieurs fois par jour. Je sais que tu reconnais ce trait de caractère qui est lisible chez la plupart de nos concitoyens. Ils sont aigris, tendus, complexés, froissés, triturés. Comme de la tisane. La situation du pays est si navrante que tout le monde est sur les nerfs. » .
Après avoir peint en noir l’état du pays secteur par secteur, il précise : « C’est dans dénoncer là que je me suis retrouvé avec une casquette d’opposant qui s’est avérée être trop lourde à porter pour moi qui n’étais encore qu’un garçon. Va voir ce que je dénonçais. Je n’ai pas dénoncé à l’époque cette mafia organisée depuis le sommet de l’État qui gangrène cette économie. Je n’en savais encore rien. Je n’ai pas dénoncé non plus ton industrie de dénaturation du citoyen, ce processus de manipulation générale orchestré par de pervers narcissiques à ta solde qui formatent les cerveaux, qui enlèvent de nous ce qui est humain. Cette monstruosité nationale qui nous a plafonnés, qui nous a volé notre dignité, notre avenir, nos rêves, notre identité…, qui a fait de nous ce que vous appelez fièrement des cancres. Je n’en savais pas encore grand-chose. Tout ce que je pensais savoir pour mon âge et mon niveau de réflexion personnelle, c’était la chosification de notre système solaire et éducatif » .
À suivre dans le prochain numéro.
« TAMPA EXPRESS » numéro 0055 du 11 avril 2024