Akpéma, un rite initiatique de passage de jeune fille Kabyè en femme
Dans la préfecture de la kozah, au nord du Togo, les jeunes garçons et filles kabyè se reconnaissent matures et prennent part à la vie sociale à partir des rites initiatiques Evala, Akpéma et Kondona. Et chaque rite initiatique a son importance et sa particularité. Au-delà des obligations traditionnelles, les rites initiatiques en pays kabyè permettent aux initiés d’affirmer leur identité culturelle. Comment se pratique ce rite initiatique et quelle est son importance pour les jeunes filles kabyè ? Votre journal Tampa express vous reprend l’esprit d’un article publié par notre confrère Kossi Abèdou Bouyo sur le sujet.
Généralement, la jeune fille, dans la tradition Kabyè porte durant sa vie, plusieurs noms. Elle est enfant ( Pɔɔ 7-8 ans), adolescente (pᴐᴐvelaɣ 8-15 ans), fille (pɛlaɣ 15-18 ans) et femme (Halʋ 18 ans et plus). Comme chez le garçon, la jeune fille kabiyè à partir de 18 ans subit une initiation dénommée (Akpéma, Akpendʋ). Cette initiation se fait en une seule année contrairement à celle des garçons qui dure plusieurs années.
Comment se font les préparatifs ?
La cinquantenaire révolu, Limaziè Assali, prêtre traditionnel (Tchodjo) du village de Lama Kolidè raconte : Depuis la nuit des temps, l’initiation « Akpéma » exige une certaine préparation, tant sur le plan psychologique de la jeune fille, matériel (recherche de certains objets) que financier. « Avant les cérémonies Akpéma, les parents de la fille doivent obligatoirement réunir les moyens nécessaires. Il s’agit d’un sac de maïs, d’un sac du sorgho ou petit mille, d’un bidon d’huile rouge, d’un bol de graines du baobab décortiquées, de piment, de sel, ainsi que deux ou trois moutons selon leurs possibilités financières et de la volaille, en plus d’une enveloppe financière», explique le prêtre. Ceci servira, précise-t-il, à faire le sacrifice dans les sanctuaires, à nourrir également les invités tout au long du rituel et à gratifier les accompagnantes des Akpéma qui chantent en l’honneur des familles des initiées.
Tchodjo Liamziè souligne aussi que lorsque tout cet ensemble de moyens est réuni, les jeunes initiées alors entrent au couvent pour subir les différentes étapes du rite.
Les principales étapes rituelles
Selon le prêtre, le premier rituel s’appelle « Azola ». Il consiste à faire asseoir la jeune fille sur un tabouret ou « Kpéré » en langue locale, devant un petit mortier, « Sowa ». Après, la tante maternelle de l’initiée vient lui raser la tête et lui faire des cicatrises avec un objet tranchant nommé « Houno » au niveau des joues, avant de procéder à l’immolation de la volaille et la bête en l’honneur des aïeux (Dana). Tout ceci pour implorer la protection des mânes des ancêtres afin que la jeune fille, parcourt sans incident toutes les étapes du long trajet jusqu’au sanctuaire sur la montagne.
Mme Eyawélé Anyhou, prêtresse du couvent de Lama Sahoudè, chargée des rites au sanctuaire explique que depuis leurs maisons respectives, les jeunes filles initiées, têtes rasées sortent toutes nue avec une mince tige ou « Doka » à la main droite, sans parler à personne marchent jusqu’au lieu sacré dans la montagne. Elles sont suivies de leurs toutes petites filles non initiées ou « Gakpayissi », âgées entre 8 ou 10. La prêtresse souligne que seules les jeunes filles vierges accèdent au lieu sacré, situé dans la montagne Sahoudè. « Toutefois, celles qui ne remplissent pas cette condition de virginité, subissent toutes les étapes initiatiques, sauf l’entrée au sanctuaire », renchérit-t-elle. Attention, martèle Mme Eyawélé, « Malheur aux filles qui ne respectent pas cette prescription en mettant pied dans le lieu sacré : les menstrues se déclenchent immédiatement ou elles se voient poursuivies par les abeilles. Cet acte constitue une honte pour leurs familles et une insulte pour le couvent ».
« Une fois que les initiées quittent le couvent, les parents préparent la boisson locale (Tchoukoutou) pour organiser la danse Tchimou dans le cadre de la sortie publique des initiées », explique Mme Eyawélé.
Alafia Kpatcha, un autre prêtre traditionnel (Tchodjo) de Lama Poudè, révèle que dans l’antiquité, les filles sont dotées dès leur naissance par un parent qui la voudrait comme épouse de son fils. En ce moment, cette fille est considérée comme une fiancée. L’arrangement se fait alors au niveau des deux familles qui initient des projets allant dans le sens du mariage de leur progéniture. Cet arrangement se traduit par une relation d’entraide qui se concrétise à travers les travaux champêtres, l’apport de don alimentaire et autre jusqu’au moment où la fille en question aura l’âge raisonnable de subir des rites traditionnels « Akpéma ».
Dès que le père de la fille prend la décision de faire les rites initiatiques Akpéma, il entreprend alors des démarches pour avertir son beau parent qui s’organise à son tour pour venir en aide au parent de la fille dans les préparatifs des rites. Au terme des rites Akpéma, les parents de la fille initiée organisent une danse traditionnelle, « Tchimou ». Cette danse peut-être également organisée par le fiancé de la fille initiée. Il rappelle qu’après le rite Akpéma, les futurs époux se rendent mutuellement visite jusqu’au jour du mariage. Akpénou (l’initiée) est souvent « enlevée » par son fiancé le jour de la danse Tchimou. Cet enlèvement est suivi de cris de joie des parents prononçant la phrase « on a tiré sur une biche », noire ou rouge, selon le teint de la fille et c’est le mariage qui se concrétise, précise le prêtre traditionnel.
L’importance du rite initiatique pour les jeunes filles
Mme Padameli Naka, une ancienne initiée fait savoir que le rite « Akpéma » est primordial pour les filles, car il permet à l’initiée de passer à la classe des adultes, de prendre la parole au sein de sa communauté et de participer désormais aux cérémonies funèbres. Ce rite, rassure-elle permet également à la fille de connaître ses promotionnelles et même d’avoir le quitus du mariage. « A notre époque, Akpénou doit respecter ses parents, plus particulièrement ses tantes et ses oncles et avoir une attitude irréprochable dans la communauté. La jeune initiée a l’obligation d’observer et d’appliquer à la lettre, les règles sociales prescrites, notamment l’abstinence sexuelle avant l’initiation et le mariage, ceci honore ses parents et son respect une fois au foyer conjugal », a indiqué Mme Padameli.
Des règles sociales prescrites ne sont plus respectées
D’après Hodalo Kpatcha, une initiée de 2022, l’exigence de l’abstinence avant d’entrer au sanctuaire n’est plus respectée de nos jours par les jeunes filles, ce qui entraine la déperdition des mœurs. « Avec la venue de la religion chrétienne et les nouvelles technologies de la communication qui poussent les jeunes à concrétiser leur amour à partir du sexe, beaucoup de filles se désintéressent de plus en plus de ces rites traditionnels », déplore-t-elle. Elle fait remarquer qu’au regard de cette modernité, certaines dispositions sont en train d’être prises au sein des couvents pour adapter ces nouveaux paramètres aux coutumes afin d’éviter la survenue de certains faits mystiques qui portent atteinte à la dignité humaine. C’est pourquoi au nom du respect des droits humains, rappelle-t-elle, certains parents optent aujourd’hui pour la pratique du rite initiatique de leurs jeunes filles à l’église.
Comparant des rites traditionnels « Akpéma » à ceux qui se font au niveau d’église, notamment catholique, Kpatcha Alafia relève qu’au niveau de l’église, ni les réglementations, ni les interdictions des rites ancestraux ne sont respectées. Les instruments qui interviennent dans le rite traditionnel, ajoute-t-il est carrément absent, pire encore les chants exécutés retracent les aventures de Jésus Christ, alors que les chansons fredonnées au niveau des rites traditionnels évoquent la puissance des divinités. « Akpéma qui se fait de façon traditionnelle, marque le départ d’une génération, draine beaucoup du monde et c’est ce qui constitue le brassage des peuples. Tel n’est pas le cas au niveau de l’église catholique qui est d’ailleurs critiquée par les autres confessions religieuses pour cette pratique d’Akpéma en son sein », souligne-t-il.
De son avis, cette pratique d’Akpéma au niveau de l’église catholique peut s’expliquer simplement par le refus des jeunes filles qui ne veulent pas se soumettre aux exigences traditionnelles, pour des raisons que l’on ignore et peut-être certains parents ne voudraient pas dépenser car après tout, faire Akpéma, demande beaucoup d’argent
Elle se fait de manière concertée entre les parents et les oncles de la jeune fille. La tradition voudrait qu’elle soit vierge avant son initiation, car cette pratique la prépare au mariage. Akpéma est alors un rite qui permet aux jeunes filles Kabyè de s’habituer à l’endurance, au courage et à la sauvegarde de certaines vertus qui lui donnent un statut particulier. Parmi ces vertus, celle qui est capitale est sa virginité avant le mariage. Ainsi, Akpénou, très dévêtue, la tête rasée, un collier en fer au cou, part avec ses autres camarades en file indienne dans la forêt sacrée où se poursuivent les cérémonies. Tout au long de l’initiation, elles sont accompagnées et prises en charge par des femmes adultes expérimentées.
Une fille initiée lors de la danse Tchimou
Il faut souligner que dans la forêt, au cours des rituels, les Akpéma auront à s’asseoir sur une pierre sacrée pour prouver leur pureté. La réussite à ce test donne le privilège d’avoir accès à la petite case sacrée. Une étape déterminante qui, lorsqu’elle est franchie, fait l’honneur de leur famille. C’est à la fin de ce processus initiatique que la jeune fille Kabiyè est déclarée apte à la vie adulte et au mariage. Il convient de préciser que les filles qui se savent non vierges ne doivent pas s’asseoir sur la pierre. Après les cérémonies, elles sortiront toutes nues de la forêt sacrée et entreprendront le voyage du retour en passant par un autre chemin que celui emprunté pour y arriver. Le risque pour celles qui vont s’entêter est de voir la porte de la petite case se rétrécir devant elles, les empêchant d’y entrer. Ce sera alors la honte, les humiliations, les insultes et de profondes railleries pour elles et leurs parents.
C’est au nom de cette identité que le clergé local va introduire dans l’Église catholique le rite initiatique Akpéma afin d’éviter le syncrétisme culturel.