LA PORTEE DE LA DESCENTE DU « TCHODJO » DONNANT LE TON AUX RITES INITIATIQUES DES EVALA
La société kabiyè est organisée en classes d’âge masculine et féminine qui donnent lieu, pour l’homme à une initiation en deux temps –efalu (est à contraction de eyu kefalu, c’est-à-dire « homme nouveau ») vers 18 ans, kondo vers 20 ans. Du côté de la femme, une seule initiation est programmée (akpendou) vers 17 ans, qui prélude son mariage. Le jeune garçon ne devient évalu qu’après initiation. La première initiation l’introduit dans la classe des évala pour trois ans (R. Verdier, 1982, p. 73 ; N. L. Gayibor, 2011, p. 316-317) et met un terme à l’enfance. La seconde est l’affirmation de l’homme adulte, en pleine force de l’âge. À quand remontent les luttes évala et en quoi la descente du tchodjo conditionnent celles-ci ?
Figure 3 La force et l’endurance pour vaincre son adversaire
Source : Linitiateur Evala 2017, p. 9.
Dans le déroulement des luttes traditionnelles évala, le prêtre traditionnel (Tchodjo) joue un rôle très déterminant. Véritable chef spirituel, le Tchodjo annonce en effet, le début des cérémonies de la fête évala et toutes autres fêtes traditionnelles par un rituel appelé « descente du tchodjo » de Tchinlinlao (Bénin) à Lao, en passant par Farindè (Binah) et Kouméa.
En général, les dates auxquelles se tiennent les cérémonies sont fixées par les consultations des oracles suivies de l’autorisation accordée par les grands prêtres appelé « Tchodjo ». Il est au début et à la fin de cette fête traditionnelle en veillant pour qu’elle se déroule dans les meilleures conditions. Après les luttes, il fait une tournée dans les lieux sacrés pour remercier les ancêtres d’avoir permis la bonne tenue de cette fête traditionnelle.
Origines et signification de la lutte traditionnelle évala
De par sa genèse, les luttes évala sont une pratique culturelle multiséculaire, dont l’origine remonterait au milieu du XVIIIe siècle. Les premières manifestations des Evala, en tant que défi, ont eu lieu avec le sacre de deux personnages atypiques : un certain Tchablime du village de Kpédaw et son adversaire, Fawokézié de Kolidè. Il était singulier de remarquer chez ces deux précurseurs des luttes Evala ce qui suit : le premier avait une taille de plus de 2m, avec une corpulence herculéenne, tandis que le second ne mesurait que 1,40m. Ainsi, les premières luttes traditionnelles enregistrées en pays Kabyè datent de 1785 avec l’affrontement entre Tchablime et Fawokézié. À l’issue de ce duel historique, ce fut le myrmidon qui terrassa le colosse. Partout dans le village, le géant sera hué et moqué. Dès ce moment, dans l’intention de laver un tel affront, le virus de la compétition s’est alors propagé dans toute la Kozah. (http://togocultures.com/togo-les-evala-entre-rites-initiatiques-competitions-et-fete-culturelle).
Les tournois sont très populaires et suivis par une assistance nombreuse et joyeuse. R. Verdier (1982, p. 77-78) décrit une partie de lutte en ces :
« Le corps enduit d’huile de karité, ils se rendent en dansant au lieu de la lutte où la foule des parents et amis les entoure et les exhorte par des chants d’encouragement. Divisés en deux moitiés rivales, les lutteurs se mettent en lignes et s’affrontent par quatre ; chacun choisit à distance son partenaire de l’autre camp et, au signal de l’arbitre situé au centre, ils s’approchent les uns des autres et engagent le corps à corps ; par des prises de bras et de jambes, chacun tente de déséquilibrer l’adversaire et de le faire tomber. Le vainqueur est celui qui réussit par la ruse ou par force à terrasser son partenaire et à lui plaquer le dos contre terre. Le combat oppose d’abord les ahosa (les non-initiés) puis, les efala de la première année, puis ceux de la deuxième année, et enfin ceux de la troisième année. Les vainqueurs s’opposent ensuite entre eux ; le champion est porté en triomphe ».
L’initiation du jeune kabiyè
Le rite initiatique est constitué d’attrapades, d’internements et d’autres cérémonies bien plus éprouvantes. La viande du chien constitue un élément central et primordial dans le rituel Evala. Pour l’aspirant Evalou, cette consommation ne se fait pas par simple plaisir ou de façon volontaire. En réalité, c’est la seule occasion pour le kabyè doit gouter à la viande du chien. C’est plutôt une prescription nécessaire à l’accomplissement des rites initiatiques. L’initié, qu’il le veuille ou non, est tenu de consommer la chair de chien pour acquérir les qualités reconnues à cet animal : l’endurance, la ténacité, la force et l’intelligence. En effet, la coutume recommande, dans la mesure du possible, que l’animal soit acheté par l’oncle maternel du garçon devant subir l’initiation. Et lors du rituel chez l’oncle maternel, celui-ci, devant tout le clan réuni, édicte les règles morales que le jeune initié doit désormais suivre, sous peine de malédiction « Tu ne voleras pas, tu n’insulteras personne, tu ne mépriseras pas tes cadets, tu respecteras absolument ta mère, ton père et toute personne âgée, tu respecteras le bien d’autrui, tu respecteras la terre et la nature qui n’appartiennent qu’à Dieu. » Kéyéwa (1997, p. 173).
Signalons au passage que pour arriver à cette initiation, le jeune kabiyè, dès l’âge de 5 ans commence à s’entrainer jusqu’à l’âge de 17 ans. Les jeunes de cet intervalle d’âge sont appelés : Ahoza (Ehoziyè, sing). Une fois l’âge de 18 ans franchi, les parents font les démarches nécessaires auprès des oncles maternelle du jeune pour les informer que leur neveu est a atteint la maturité pour son initiation. Avec l’accord de ceux-ci, des démarchent sont entreprises pour enclencher le processus de l’initiation. Il convient également de signaler que plusieurs jeunes sont déclarés forfait ; soit pour n’avoir pas fait le milieu ni intégré la communauté pour s’initier ou simplement ont pris la décision avec ou sans consentement des parents de ne pas se soumettre à cette cérémonie. Car il faut le rappeler, il ne s’agit nullement d’un simple jeu mais une question de force et d’endurance avec parfois des pratiques mystiques. Il arrive des fois qu’un lutteur s’en sorte avec des blessures, handicaps et même au pire des cas, y laisser sa vie. Les ambulances, la Croix Rouge et agents hospitaliers sont mis à contribution pour voler au secours des cas de détresse.
Comment se déroulent les luttes proprement dites ?
La lutte traditionnelle évala est l’une des plus grandes manifestations initiatiques dans la préfecture de la Kozah. Elle se déroule, la deuxième quinzaine du mois de juillet de chaque année et est l’occasion pour le jeune kabiyè de dix-huit à vingt-un an, de se distinguer par sa force, son endurance ou par l’élégance de sa danse. La lutte évala consacre, en plus du passage du jeune de l’adolescence, à la classe des adultes, l’affirmation de son identité culturelle kabiyè. L’autre objectif indéniable de ces rites est de maintenir la cohésion entre les fils et les filles du canton. Son but est de préparer physiquement et psychologiquement le jeune kabiyè à affronter les obstacles de la vie et à assurer la défense de la cité. La finalité donc des rites évala est d’habituer le jeune Kabyè à l’endurance, au courage, à l’abnégation et au stoïcisme dont l’aspect culturel est rehaussé par les sacrifices que l’initié doit consentir : le jeûne, l’abstinence sexuelle et les scarifications qui sont les signes extérieurs de défenseur de la cité.
Ainsi, les évala organisent leurs championnats d’abord par quartiers, puis entre villages. Il convient de préciser que la lutte traditionnelle n’étant pas une compétition, mais plutôt, une manifestation festive. Elles se déroulent en plusieurs phases et, au fur et à mesure, coalitions se forment jusqu’à la finale. Chaque lutteur a droit à deux combats de lutte au moins avec des adversaires différents du camp opposé. La victoire honorifique dans chaque catégorie revient au camp, dont le lutteur a terrassé en premier et la victoire numérique revient au camp ayant enregistré le plus grand nombre de victoire (K. E. Sama et al., sd, p. 7). Les combats spectaculaires peuvent se dérouler par équipe de trois, quatre ou même jusqu’à cinq lutteurs. Comme l’illustrent les photos ci-dessous, ces derniers s’affrontent et s’empoignent torses nus sous regard crispé des parents et amis mais aussi des touristes et curieux venus les encourager au son de gongs, castagnettes et tam-tams (L’initiateur Evala 2017, p.8).
Les empoignades auxquelles tout visiteur du pays kabiyè assiste au mois de juillet de chaque année, marque l’apothéose de tout un rituel bien organisé. Pendant huit jours, les évala se livrent à des empoignades. Après les tours préliminaires et éliminatoires dans les sanctuaires, les quarts de finale, les demi-finales et les finales. Les lutteurs, torses nus, se distinguent, selon leur équipe, par des shorts de couleur blanche, rouge ou verte frappés des noms de sponsors (le port des shorts relève de la modernité). L’ambiance dans les arènes est toujours festive et frénétique. Les combats sont ponctués de cris d’encouragement de la part des supporters ainsi que des clameurs de la foule nombreuse et surexcitée.
Au-delà de leur aspect spectaculaire, ces rites constituent, à n’en point douter, le tréfonds de la socialisation du jeune kabiyè. Cérémonie rituelle à dimension multiple, évala consacre, non seulement, le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais également l’affirmation de l’identité culturelle Kabyè. La finalité première du rite Evala est d’habituer le jeune Kabyè à l’endurance, au courage, à l’abnégation et au stoïcisme, dont l’aspect culturel est rehaussé par les sacrifices que l’initié doit consentir : le jeûne, l’abstinence sexuelle et les scarifications qui sont les signes extérieurs de défenseur de la cité. Ainsi, le rite initiatique est constitué d’attrapades, d’internements et d’autres cérémonies bien plus éprouvantes.
La rédaction