La culture du Soja, un véritable catalyseur sociétal
Analyse comparative, cas Bassar et Dankpen nord-ouest du Togo
Dans le secteur agricole au Togo, là où les projets gouvernementaux budgétivores de plusieurs décennies ont échoué, le soja-graine en moins de cinq ans de production, fait le bonheur des agriculteurs. Le soja a complètement phagocyté la culture du coton dite subventionnée par l’Etat, à travers les intrants, dont l’engrais. Aujourd’hui, c’est la volonté des paysans qui s’impose en dépit des manœuvres machiavéliques destinées à saboter la commercialisation de ce produit. Malgré ces manœuvres, la culture du soja a pris le pas sur les autres produits de rente dans presque toutes les contrées du pays.
Le pays bassar-konkomba est, de tout temps, reconnu comme le plus grand grenier du Togo. En effet, les deux préfectures (Bassar et Dankpen) nourrissent le pays à plus de 50% en productions vivrières (céréales et tubercules). A titre d’exemple, la quasi-totalité des tubercules d’ignames consommées au Togo et en exportations, après les prémices des régions des Plateaux et Centrales proviennent de ces deux milieux durant toute l’année. En termes de logistique, le nombre de camions transportant les ignames et autres marchandises qui était seulement de huit (08) en 2007, est passé à une quarantaine en 2017. Et depuis 2020, les chiffres ont flambé et l’on dénombre plus de quatre-vingt-un (81) camions pour Bassar, quarante (40) pour Kouka, dix (10) pour Kabou et onze (11) pour Bangeli. Ces camions d’une capacité minimale de 50 tonnes transportent des marchandises à destination de toutes les régions du Togo et de la sous-région.
En ce qui concerne la culture de cette légumineuse, sur les 281 mille tonnes de soja-graine récoltées pour la campagne 2022-2023, la Région de la Kara occupe le troisième rang avec 64 mille tonnes soit 23% de la production nationale derrière la Centrale (100 mille tonnes) et les Plateaux (67 mille tonnes).
Au niveau de la Région de la Kara, la Préfecture de Dankpen à elle seule fait au moins 75% du volume, loin devant Bassar (Kabou, Bangeli, Bassar…) et Doufelgou. Les productions de la Kozah sont insignifiantes à cause du relief défavorable et pour la Plaine des Maux, pardon de Mô, c’est le réseau routier qui est totalement dégradé en la rendant un véritable isolant.
L’effectivité de la renaissance dans le Dankpen
Jusqu’en 2006, la préfecture de Dankpen, détenait le glorieux titre de champion dans la production de l’Or blanc en qualité et quantité dans la région de la Kara et précisément dans le Grand Bassar avec plus de 12 300 producteurs contre seulement 3,5 mille à Bassar avant la chute de la filière. Mais au même moment, Dankpen était considérée comme le dernier de la classe en termes de richesse en ressources humaines et de développement. C’était une forme de moqueries chez les ”premiers” (la capitale Kabou et Bassar) et une sorte de victimisation parce qu’elle tiendrait la queue de peloton. Certains Bassar-Konkomba ont encore en mémoire la conférence débat que le regretté Charles Madjome Kondi Agba avait animé en septembre 2010, en marge de la fête des ignames à Guérin Kouka. Ce jour-là, les frères s’étaient quittés en queue de poisson. Car les frères et sœurs konkomba estimaient que leur déficit en développement proviendrait des autres supposés des nantis. Il en était de même au niveau des frères (sœurs) de Bangeli qu’on surnomme les TAPOU c’est-à-dire littéralement les ”gens d’en bas” alors que pour d’autres la signification serait ”le coucher du soleil”. Il s’agit en réalité d’une sorte d’orgueil surdimensionné chez les uns qui désignent d’autres de OUMONTIDJA pour désigner ” ceux-là qui ont senti la douceur des mamelles du Togo !” C’est un paradoxe préjudiciable de designer les autres derniers de la classe. Car ils ont dormi sur leur laurier pendant que les autres travaillaient durement pour sortir de l’état nature. Certains dans les camps d’en face s’en sont servis et cela continue même dans la gouvernance mais Dankpen en a tiré la bonne leçon en prenant son destin en main. La prise de conscience du Konkomba a débuté un peu plus tôt. D’ailleurs l’enseignant en philosophie N’Tanam Monkpébor, l’avait annoncé subtilement à l’occasion du Congrès du mouvement citoyen de renaissance du Grand Bassar le 24 avril 2007. Ce dernier, après avoir fait l’inventaire des préjugés qu’on leur attribue, qui remontaient depuis l’époque coloniale et qui peuvent être relativement vraies jusqu’à un passé relativement récent déclare « Aujourd’hui, ce ne sont plus que des préjugés ethnocentristes, des prétextes dont nos détracteurs se servent pour nous brimer, humilier, tricher. Car aucun peuple colonisé, d’ailleurs, n’a accepté spontanément l’école moderne ». Il confirme cet éveil par du factuel sur le terrain « Sur 116 écoles dans la préfecture de Dankpen, 46 sont des écoles communautaires. Autrement dit, nos parents ont mis leurs efforts ensemble pour créer plus de la moitié des structur es scolaires avec l’appui des ONG, offrant ainsi la chance d’accès à 3694 enfants. Pour ce faire, ils construisent, entretiennent 46 structures scolaires, cherchent partout le mobilier, le matériel pédagogique et prennent en charge les prestations de 86 enseignants dits volontaires. Cependant, le préjugé selon lequel ils n’aiment pas l’école persiste parce qu’il sert les intérêts de ceux qui l’entretiennent ». C’est ainsi que tout se passait comme si l’on disait comme le Konkomba n’aime pas l’école ne le gênons pas avec nos belles idées d’éducation pour tous ou de l’amélioration de la qualité de l’éducation.
Les frères Konkomba ont vite compris la leçon et n’ont nullement attendu l’administration publique ou le politique RPT-UNIR pour leur nommer les cadres et ministres. Les initiatives privées ont été spontanées. Car en quelques années, le Konkomba a délaissé la bière ”Lager”pour les Gnofam.e et parentés pour les prestigieuses Awooyo, Djama et les composantes de ”la vie d’en haut”. Pour ceux qui ne le savaient pas, un cousin à plaisanterie chez les bassar-konkomba qui date des années 1970, le buveur de la bière Lager de BB est systématiquement le konkomba ou le paysan de Binaparba et la Pils réservé à l’Homme civilisé.
La transformation structurelle en marche à Dankpen
On désigne par transformation structurelle, la réallocation progressive et soutenue des ressources des secteurs d’activités économiques les moins productifs vers les plus productifs (Klinger et Lederman, 2004).
En effet, la filière soja touche significativement, positivement et durablement tous les secteurs d’activités dans le pays Konkomba. Les signes sont visibles sans loupe ni étude d’impact. On dirait une vengeance sur le coton, dont la chute avait conduit des paysans à donner la mort à leur famille et à se suicider par la suite. Les agriculteurs Konkomba ont abandonné la misère cotonnière pour dompter « La culture du soja, une manne pour le pays ».
C’est important aussi de préciser que la culture du soja est beaucoup facile pour les sojaculteurs. En effet, cette légumineuse d’origine asiatique n’a pas besoin de beaucoup d’eau, ni d’engrais, ni de beaucoup de main d’œuvre. Il suffit de faire le labour et de semer puis asperger l’herbicide sélectif sur la superficie aussitôt le semi ou soit attendre environ 15 jours après la germination pour l’unique traitement à l’herbicide. Et puis, c’est parti pour la récolte entre 4-6 mois sans autres formalités. L’emblavement est désormais mécanisé dans la région et les semis se font à base des semoirs.
A ce jour, la Préfecture de Dankpen compte plus de 100 tracteurs agricoles contre 6 tracteurs à Bassar et environs 7 au niveau de Kabou. Tenez-vous bien, parmi les sept tracteurs dénombrés à Kabou l’on note ceux des autorités dont les généraux Bonfoh et l’ancien président par intérim feu Abass Bonfoh. Contrairement à la Préfecture de Bassar, tous les engins de Dankpen appartiennent aux privés. Il n’est pas étonnant quand les paysans de Bassar et Kabou font venir les tracteurs de Dankpen pour désherber les surfaces cultivables. « Cette année, des parents m’ont sollicité pour les aider à louer des tracteurs en raison de 30 mille FCFA l’hectare. J’ai envoyé les sous mais impossible de trouver des tracteurs même à Dankpen car étant tous occupés. Et pour ne pas rater la saison, les frères ont dû faire recours aux métayers venant de Sanda », dixit Bassirou.
Selon nos recoupements, au Togo, Dankpen est dans le peloton de tête avec les zones comme Tchamba et Tône qui regorgent une flotte importante de machines agricoles et où également la disponibilité des pièces de rechange est effective.
En d’autres termes, pendant que les Konkomba ont opté pour la production avec la massification de machines agricoles, les autres composantes (Bassar, Kabou et Bangeli…) ont opté pour le service de transport avec autant de camions poids lourds.
La chaîne de valeur du soja s’élargie aux nouveaux métiers
La préfecture de Dankpen est devenue de facto une capitale des pièces détachées des tracteurs dans la région. Les garages spécialisés dans l’entretien et la réparation des machines agricoles y poussent comme des champignons. C’est toute une fierté de vivre l’embellie avec la dynamique du commerce et de voir l’Union Togolaise de Banque (UTB) ouvrir ses portes pour la demi-journée du dimanche. Elle force l’admiration car à Dankpen, c’est le jour du sabbat (shabbat), jours de repos hebdomadaire dans des religions que le konkomba consacre comme jour du marché. Ce jour, tout le monde (artisans, tractoristes, commerçants, institutions financières…) est au travail pendant que d’autres remplissent les centaines de temples de prière à la quête de l’inconnu. C’est ce jour de dimanche qui attire la communauté, dont le monde économique du grand Bassar qui s’y rend souvent juste pour les opérations bancaires.
Les acteurs en activité le jour de sabbat
En dehors des bâtis comme en témoigne le plus grand centre commercial en taille et en standing dans le Grand Bassar, on note l’abondance d’auto-moto avec le bond en nombre de camions transportant les marchandises et surtout l’apparition de nouveaux métiers. Tous les nouveaux métiers à l’instar des mécaniciens, conducteurs de tracteurs, commerçants de pièces détachées. Ce mouvement est soutenu par le retour en masse des Konkomba du Ghana qui appuient en technicité et aussi dans les importations diverses à partir du Ghana.
Tout le monde se dit maintenant qu’on peut réussir sur place car « Nul n’a un avenir dans un pays sans avenir », dixit Norbert Zongo. Ce succès économique porte déjà des impacts positifs au plan sociétal. Beaucoup de parents (hommes et femmes) retrouvent l’autorité parentale et peuvent désormais entretenir leur famille. On note le ralentissement de l’exode rural, les populations ont des financiers pour s’entretenir, envoyer les enfants à l’école et aussi d’éliminer le banditisme. Selon une source sécuritaire, le konkomba (jeune comme adulte) est courtois, très assidu et appliqué dans l’apprentissage.
Au même moment ceux de la préfecture voisine excellent à l’inverse avec un nombre de plus en plus élevé de bandits et des jeunes à la recherche du gain facile par des moyens mystiques. Par exemple, il n’existe pas de jour sans enregistrer des cambriolage ou braquages dans les contrées de Bassar.
Dankpen, Chantier du plus grand complexe commercial privé du Grand Bassar
Il faut rappeler que pour accompagner cet élan, le ministre Lekpa Antoine Gbegbeni de l’agriculture, de l’élevage et du développement rural a doté sa préfecture natale d’une radio FM qui fait un excellent travail à travers des émissions adaptées à la localité. Ce dernier qui succède à l’honorable Ibrahima Mémounatou (Plusieurs fois ministre sous Eyadema et Faure Gnassingbé) et à son feu Père Nanamalé Gbégbéni (ministre sous Eyadéma) fait aujourd’hui un lien d’union entre les Konkomba contrairement aux baronnets de la grande préfecture de Bassar qui ont totalement galvaudé le vivre-ensemble.
Rappelons également que la préfecture de Bassar a connu l’arrivée de la Radio Dawul 88.7 FM depuis 2003. Vingt ans après, DAWUL (le Gong) a abandonné sa mission de radio de proximité pour devenir une simple boîte à musique à l’occidental.
Que dire de ces initiatives privées qui ont doté la ville de Guérin Kouka en studio d’enregistrement pour la production des artistes de la chanson. Alors que celle destinée à doter la radio Dawul d’un studio d’enregistrement artistique est restée à l’étape de projet car n’ayant pas reçu de subvention de la coopération française en 2006. Ces studios à Kouka, appartiennent à de simples gens qui n’ont rien à cirer avec l’administration publique, ni attendu l’appui d’une quelconque ONG. Depuis un moment, c’est dans ces studios de Denkpen que plusieurs artistes du Grand Bassar vont prester à moindre coût et plus besoin d’aller à Lomé ou de franchir la frontière pour aller se faire enregistrer au Ghana voisin.
De la nécessité de protéger la filière soja en vulgarisant le modèle Konkomba
Tout comme le café-cacao avait fait la fierté de la Région des Plateaux dans les années 1980, le soja également est en train de restaurer la vie dans beaucoup de régions du pays. Le soja est un produit de rente au même titre que le coton dont la rentabilité éprouve les cotonculteurs. Aussi, la culture du soja n’empêche pas le Pays bassar-konkomba de continuer par jouer son rôle de grenier du Togo.
Les paysans ont su se diversifier sans être congestionné par la bureaucratie des programmes et projets gouvernementaux et auxiliaires, dont les issues sont souvent improbables. Dankpen est l’une des marques d’une expérience endogène qu’il faut exporter dans d’autres régions. D’autres localités du Togo à l’instar de la grande préfecture de Tchamba, Kamboli et ses environs sont également des exemples à conter.
Il y a urgence pour sensibiliser les agriculteurs et utilisateurs des herbicides et de les former à une utilisation rationnelle.
Il est désormais clair pour chacun que les performances constatées chez les frères de la préfecture de Dankpen ne sont nullement l’effet de la nomination ou l’élection d’un quelconque natif mais plutôt d’un sursaut collectif. Certes, certains cadres contribuent un tant soit peu au développement du milieu.
En ce qui concerne les hautes personnalités, la préfecture de Bassar comptait à l’époque, deux à trois ministres au gouvernement et de hauts gradés dans l’armée. Tout cela a servi à quoi ? Si ce n’est pour terroriser les paisibles populations !
Voilà que les braves descendant de guerriers ont fait le deuil de l’assistanat et d’une gouvernance sélective pour se lancer sur le bon chemin, celui de production de la richesse.
B.Douligna