Souffre-douleur au Togo : Quand l’AMU vient achever le pouvoir d’achat

Ça fait des décennies que les Togolais tirent le diable par la queue malgré l’embellissement des indicateurs économiques et sociaux. Et pour cause, leur pouvoir d’achat, devenu un souffre-douleur. Les choses se sont encore aggravées à partir de l’année 2020 quand Faure Gnassingbé dans sa politique de la promotion d’un certain leadership féminin, a fait confiance en la personne de dame Victoire Tomegah-Dogbé en la nommant premier ministre du Togo, la première fois qu’une femme occupe ce poste dans l’histoire du pays.

C’est au lendemain de cette nomination que les prix des produits énergétiques (carburant à la pompe, gaz, pétrole lampant…) ont connu trois augmentations successives (29 mars 2022, 10 mai 2022 et 19 juillet 2022). Bien avant c’était la révision à la hausse des tarifs des postes de péage qui intègre désormais les engins de deux et trois roues.

Et comme tout cela ne suffisait pas, le pouvoir togolais rajoute un nouveau prélèvement au titre de l’Assurance Maladie universelle (AMU) malgré la forte pression fiscale et douanière. Toutes ces mesures ont non seulement des incidences perverses sur les prix des biens sur les marchés mais aussi détériorer gravement le pouvoir d’achat au point de laisser penser à un populicide en perspective. Toutes ces manœuvres combinées ont eu pour effets pervers, l’augmentation générale du niveau des prix des biens et services sur les marchés et la réduction des revenus des travailleurs.

Au moins deux certitudes interpellent au Togo à l’observation du vivre ensemble : le déclin manifeste du pouvoir d’achat, voire sa mort dans nombre de métiers salariés comme artisans, et le déclin tout aussi manifeste du civisme, c’est-à-dire de “la préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre” comme le définit si bien le penseur et écrivain Montesquieu.

En effet, l’AMU n’est pas une particularité togolaise mais une recommandation communautaire. Une idée très louable qui fait ses preuves dans plusieurs pays sur le continent africain et dans le monde, mais au Togo le mécanisme de l’assurance maladie se présente comme ce tueur lent et silencieux qui pèse également sur les personnes nanties ; la manifestation de la gouvernance « pickpocket ». Dans les autres pays de la sous-région, c’est le gouvernement en premier qui subventionne l’AMU, puis viennent les appuis des partenaires stratégiques et enfin les prélèvements forfaitaires de 1000 FCFA par personne. Comme en Côte d’Ivoire et ailleurs le prélèvement est plafonné lorsqu’il est proportionnel au niveau du revenu.

Un État qui déploie tous les moyens pour siphonner le porte-monnaie des gouvernés et même les plus démunis comme les retraités qui se disent désormais « maltraités ». Qu’est-ce qui peut expliquer cette diminution généralisée des salaires et assimilés si le Chef de l’Etat Faure Gnassingbé, lui-même dans sa magnanimité, qui par moment tente d’injecter du cash pour tenter de soulager la misère du Togolais.

Comprendre le terme pouvoir d’achat et sa destination

Le pouvoir d’achat, au sens intuitif de l’expression renvoie aux plus démunis comme une supplique. Dès lors se pose la question de qui gagne quoi et la problématique conséquente du revenu national et de sa répartition. Pour autant, ce n’est pas forcément parce qu’un citoyen gagne beaucoup, ou bien va en gagner plus, par la productivité en hausse de son travail ou de son capital ou en raison de son positionnement social, que ceci pose en soi un problème pour celui qui gagne frugalement ou ne gagne rien du tout. De même, ce n’est pas parce que la productivité ne peut être améliorée outre mesure dans un métier, notamment de coiffeur ou de chauffeur, que celui qui l’exerce n’a pas droit à un pouvoir d’achat approprié.

La problématique du pouvoir d’achat et du bien-être est liée à celle du panier de la ménagère ainsi qu’à celle de l’accès aux services sociaux, à l’éducation, au logement et aux services publics pour tous, non pas de façon marginale pour certains et comme une cerise sur le gâteau pour d’autres. Ce sont là des préoccupations de faible épaisseur pour les tenants du pouvoir cinquantenaire.

Le pouvoir d’achat bien compris est assurément ce droit de tout un chacun d’accéder à un bien-être minimum. Il emporte une forte exigence sociale. Il suggère par ailleurs que l’effectivité de ce droit du citoyen à accéder à un bien-être minimum relève de la responsabilité première des tenants du pouvoir politique. De la pertinence de leurs initiatives, en matière de gouvernance, dépend de la solidité ou la fragilité du pouvoir d’achat ainsi compris, ou sa survie ou son déclin voire sa mort.

Le pouvoir d’achat en déclin manifeste

En effet, sur ces différents volets, le bilan est peu élogieux depuis belle lurette au Togo ; à ce propos, la pertinence de l’action gouvernementale ne se voit ni dans les assiettes ni dans le progrès social à l’échelle nationale. Nul besoin d’être un observateur averti pour relever que le constat du déclin social n’échappe qu’à ceux qui tiennent les rênes du pouvoir politique, avec constance et fermeté en trop plein, sans jamais rendre compte ni assumer des échecs.

À titre d’exemples, les deux mesures phares du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé, la première en fin d’année 2021, alors que « l’inflation pesait lourdement sur les ménages, le président avait accordé une avance d’un mois de salaire à tous les fonctionnaires et retraités du secteur public. Mise en œuvre dès janvier 2022, cette avance était remboursable sur douze moi ». Mais après environ 06 mois de prélèvement, le gouvernement avait senti l’inefficacité d’une telle mesure et a dû fait remise gracieuse du solde aux bénéficiaires. Le second signe de magnanimité du président Faure Gnassingbé a été la prime exceptionnelle de 60 000 francs CFA qui a été versée aux fonctionnaires, au personnel de l’enseignement confessionnel et aux retraités. Et comme dans ces habitudes, le secteur privé qui crée de la valeur ajoutée et renfloue les caisses du Trésor Public est laissé pour compte. Mais chemin faisant, les sourires n’ont été que d’une courte durée… entres autres actions, en septembre 2022, une dizaine de mesures dans le but de soutenir les fonctionnaires togolais (public et privé) face à la cherté actuelle de la vie n’ont pas significativement impacté le panier de la ménagère.

C’est pourquoi, avant d’envisager des micros solutions, source de polémiques, qui donnent parfois l’impression que le sujet du pouvoir d’achat est insuffisamment pris en charge, voire bâclé, les pouvoirs publics se doivent d’engager des réflexions de substance qui accouchent d’une politique macroéconomique et fiscale vertueuse, assortie de mesures probantes, quantifiables, en cohérence avec une vision largement partagée par l’opinion publique. Sinon, à micros solutions, micros résultats bien loin des problématiques majeures en cause, notamment l’accès à l’éducation et à la santé, de répartition du revenu national dans un environnement agréable à vivre, de minima de subsistance à même de faire reculer la pauvreté, à défaut de l’éradiquer ou de lui donner un visage soutenable etc.

Les acteurs face à l’AMU à la togolaise

Comme le disait l’ancien ministre de la santé et de la protection civile, professeur Moustapha Minjiyawa lors d’une émission sur la TVT, en novembre 2023 : « notre assurance sera différente ». Effectivement, la première illustration est le taux excessif du prélèvement au profit de la CNSS passant depuis le premier janvier 2024 de 21,5% à 31,5%, soit 10% supplémentaire pour l’assurance maladie universelle (AMU) obligatoire. L’employé supportera 9% et l’employeur 22,5%. La part patronale qui était de 17,5% est passé à 22,5 % soit une augmentation de 5% pour l’AMU et l’employé de 4% à 9 % soit 5% de plus pour l’AMU. Pis encore, les retraités voient leurs maigres pensions mensuelles ponctionnées de 5% au profit de l’AMU et l’INAM. Pour un retraité : « Nous sommes les maltraités de la caisse nationale d’insécurité sociétale. Ils n’ont pas pitié de nous retraités. Je m’organisais pour prendre un crédit car, j’attendais un avancement quand aussitôt l’AMU est venue. Au finish, je n’ai pas pu faire le prêt pour la simple raison que non seulement ce prélèvement a avalé le surplus que j’attendais mais aussi une partie de ce que je gagnais ».

En plus les prélèvements ont débuté en janvier, autour de 3 milliards FCFA par mois pour l’ensemble des travailleurs soit une constitution de réserve de plus de 9 milliards avant le début timide des prises en charge. C’est dire que le financement du capital de l’AMU à la togolaise a été garanti par les travailleurs eux même.

Les effets, de la hausse des taux sont immédiats. Sur le salaire, l’on note une diminution du net à percevoir, vu qu’il y a un ajout de 5% à supporter par l’employé. Du coté employeur, on enregistre également une augmentation de la part patronale de 5%.  Certains employeurs ont jugé consentir des augmentations de salaire pour compenser l’effet sur le net à payer au salarié. Dans tous les cas, c’est l’employeur qui supporte le plus gros fardeau. Puis sur l’’entreprise et l’emploi, il va de soi que ce niveau de taux excessif aura tendance à décourager la création de nouveaux emplois. De tous les temps, l’augmentation des charges salariales joue toujours en défaveur de la création d’emplois décents. Les opérateurs seront enclins à privilégier de bas salaires (voir l’informel) histoire de contourner ces nouvelles charges.

Enfin, au niveau des retraités, les pensions baissent de 5%. Ce qui va encore aggraver la misère des plus vulnérables surtout qu’ils ne sont plus en fonction pour bénéficier des augmentations de salaire ou prise en charge de l’employeur.

Selon une jeune entrepreneuse « …ça pèse sur mes agents, j’ai demandé au comptable que la société prenne en charge la totalité des cotisations AMU. Tout cela impacte dangereusement notre trésorerie mais nous passons la totalité dans les charges c’est désormais rentré dans les habitués actuellement ». Mais elle avoue qu’à la fin de chaque mois, cela fait un gros montant à verser à la CNSS pour les cotisations. Presque tous les travailleurs murmurent, mais ils font avec. Mais tant que les cartes sont disponibles, autant en profiter.

Cependant, la prise en charge de la totalité des charges de l’AMU constitue un danger fiscal et ces entreprises s’exposent à un risque de redressement de l’OTR et de la CNSS.

Toutefois, la question que l’on doit et peut se poser porte sur les prestations elles-mêmes. Les assurés bénéficient ils d’une assurance totale et entière lorsqu’ils les sollicitent ?

Car il semblerait que certains produits ou traitement ne sont couverts par l’AMU.

Cela serait dû probablement aux produits qui n’entrent dans ce champ alors que les prélèvements ont été effectués sur les salaires. Les demandeurs incriminent également le temps que la production de la carte et surtout l’information qui n’arrive pas vite aux assurés pour qu’ils aillent récupérer la carte. Selon les propos d’un assuré « J’avais fait la mise à jour de mes données en juin 2024 à la cellule basée au siège de la CNSS à Lomé. C’est en novembre 2024 que j’ai été informé que ma carte était établie et que je pouvais passer la récupérer »

Par les temps qui courent, ce qui permet à l’exécutif de garnir sainement le porte-monnaie de l’État pourrait être recherché ailleurs que dans les impositions et taxes, les dédouanements des marchandises. Également le taux excessif des prélèvements de l’AMU constitue également une baisse drastique des salaires, une augmentation du coût du travail qui va dégrader la création des emplois dans le secteur privé. Un pays comme le Togo a bien besoin de l’épanouissement du capital humain et aussi la liberté d’entreprendre.

B. Douligna

« TAMPA EXPRESS » numéro 0075 du 18 avril 2025