L’opposition togolaise après les rendez-vous manqués : et si on démocratisait les concepts ?

Depuis la prise de pouvoir du clan Gnassingbé, notre opposition est restée à la traîne à chaque échéance électorale. Des questions de la sincérité des acteurs à l’efficacité des différentes méthodes d’approche en passant par les moyens mis à disposition, on pourrait aussi interroger le degré d’implication des citoyens à la base. Autrement dit, quel est le réel degré d’implantation de l’opposition dans le cœur des citoyens ? Comment gagner l’adhésion populaire générale ? Pour commencer, voici juste trois vérités brutales sur l’opposition togolaise :

Voilà pourquoi nous pensons qu’il serait grand temps de revoir les concepts de politique, d’opposition, de leadership. Il est temps de mettre en place un système partisan qui fasse désormais de chaque citoyen un acteur politique potentiel, un leader politique potentiel, un opposant politique potentiel. On pourrait penser tout de suite au concept de syndicalisme. Mais là encore le syndicalisme n’offre pas toutes les opportunités de mobilisation populaire. Car les travailleurs du secteur formel sans compter ceux du secteur public se sentent déjà liés et limités face à l’appel des initiatives politiques. En temps normal, on sait comment les museler facilement. Or le peuple est beaucoup plus grand. C’est tout le monde. C’est le monstre. Il est très regrettable que pour une petite marche pacifique quand les forces de l’ordre interpellent juste quelques leaders politiques, tous les autres militants qui restent sont démobilisés. Plus personne ne sait que faire. Cela veut dire que la lutte n’est pas encore totalement populaire. Il reste à faire dans ce sens. Même au-delà, toute la lutte ne devrait pas se résumer uniquement à des marches de protestation. Il faut beaucoup d’autres moyens d’expression du mécontentement du peuple. La constitution de 1992 reconnaît la désobéissance civile par exemple. Si réellement tout le peuple veut manifester son mécontentement, combien de temps le régime en place peut tenir ? Le réel problème en matière de désobéissance civile, le voici : chacun s’inquiète pour son ventre, pour ses proches. Le don de soi pour la patrie n’est pas encore acquis dans la mentalité de nos concitoyens. Et pour cause, les leaders politiques eux-mêmes pour la plupart ne sont pas exemplaires. Si les uns sacrifient entièrement leur carrière professionnelle pour montrer qu’ils ne sont pas d’accord avec la gestion du pays, et que les autres ne peuvent même pas observer un petit mouvement de débrayage à leur poste de travail, le sacrifice ultime des rares citoyens ne suffira pas à faire bouger les lignes. Or si tout le monde refusait au même moment et par conviction, le système en serait paralysé. Je rigole longuement quand j’entends ce discours anti mobilisation au sein du peuple : ” N’allez pas vous faire tuer gratuitement dans la rue à cause des leaders politiques ; eux ils sont tranquilles dans leurs villas sécurisées, et leurs enfants sont à l’extérieur ”. C’est quand le loup donne de sages conseils à la brebis. Voilà comment les gens vous suggèrent de vous disperser pour faciliter la répression. Car en réalité, si tout le peuple se lève, personne ni rien ne peut lui résister. Or pour voir le peuple, il faut aller vers lui. Si les Églises font plus de mobilisation que l’opposition, alors pourquoi ne pas les imiter dans leurs méthodes de maillage du territoire ? La mobilisation n’est pas toujours une question de moyens financiers, mais avant tout de stratégie. Il ne s’agit pas de visiter toutes les localités en touriste étranger pour revenir s’asseoir. Mais ensuite on fait quoi pour maintenir le contact avec la base ? On distille quels messages pour marquer l’esprit du citoyen à la base ? Et à quelle fréquence ? Les acteurs de la publicité diront que pour faire implanter un produit ou service dans la tête et l’esprit des consommateurs, on doit avoir une approche constante.

Actuellement, on peut encore parier sur la longévité à venir du régime en place, tant que l’opposition togolaise ne se réinvente pas. Vu donc l’urgence de l’heure, il faudrait que tous les citoyens s’organisent pour vulgariser autour d’eux des notions de base du patriotisme et de l’engagement citoyen. Si tous les créneaux politiques sont bouchés, c’est en même temps un avantage. Car l’impérialiste et ses instances panafricaines et sous-régionales fantoches sont aux aguets pour étouffer toute initiative populaire, justement en mettant à chaque fois la main sur les quelques leaders qui portent ces initiatives. Or le peuple dans son entièreté reste insaisissable. Déjà il faudrait être clair en précisant que la force ne déloge pas un régime fort. Il suffit que le peuple refuse de se faire gouverner pour que le gouverneur démissionne. Mais tant qu’on va continuer à alimenter un système, on ne devrait pas s’étonner qu’il prospère. À défaut de nouvelles méthodes, qu’on arrête au moins les anciennes méthodes figuratives qui n’ont jamais rien donné.

– Hervé Kissaou MAKOUYA, philosophe et écrivain ; togolais de la diaspora

« TAMPA EXPRESS » numéro 0062 du 07 août 2024

 

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