Chefferie Traditionnelle au Togo : repère de bouffons sur cirque politique ?

La chefferie traditionnelle est conçue comme étant l’un des grands symboles de la souveraineté du peuple.  Elle est le pilier de base de toute gouvernance car, elle relaye la volonté du peuple. Ainsi, elle est sacrée, inviolable et indépendante.  Même dans les monarchies les plus “pures et dures”, les collectivités territoriales conservent leur caractère sacré, et le roi tient compte en priorité des orientations qui viennent de la base. Au Togo, cependant, la chefferie traditionnelle est désacralisée, reléguée au second plan par un régime politique qui ne se soucie que de sa longévité.  Des Chefs traditionnels sont carrément devenus des politicards, souvent alignés sur les seuls détenteurs du pouvoir d’État.

Comment sortir de l’emprise de ce serpent de mer que constitue le spectre d’un pouvoir vampiriste, qui a absorbé jusqu’ aux symboles les plus sacrés de la République, y compris les collectivités locales et leurs têtes couronnées ? C’est là la seule question qui taraude l’esprit inquiet de tout observateur averti qui ne se rassasie pas de formules politiques vendeuses d’un bien-être social en lambeaux.

Le constat est sans appel, nos chefs traditionnels sont vidés de tous leurs pouvoirs, par la gourmandise d’un pouvoir public qui ne cache pas sa brillante réussite du sacrifice de l’esprit de la République sur l’autel d’une longévité, sans partage au pouvoir. C’est un succès spectaculaire qui se lit à travers le malaise social qui est palpable partout dans un État dirigiste sur tous les plans.

Désormais, nos chefs traditionnels ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, des personnages ou plutôt des mendiants politiques apparemment hors époque, atypiques par leurs prises de position politique sur commande depuis le sommet, bien loin de leur mission de gardiens des traditions.

En dépit de leur accoutrement vestimentaire traditionnel de rois, ils se prostituent avec un pouvoir politique qui les chosifie à loisir. Ils n’apparaissent plus que comme de simples manœuvres ou salariés d’une administration de réquisition peu vertueuse et d’une gouvernance peu soucieuse de traditions qui leur exige une allégeance béate et navrante au mépris de leurs couronnes.

Nos aïeux et les mânes de nos ancêtres leur ont demandé d’éduquer et éclairer leurs populations à la base, de les défendre, les représenter valablement devant un pouvoir politique qui ne connaît que des intérêts partisans et qui ignore les vraies réalités des localités ; afin que règnent la paix sociale, l’ordre, l’harmonie et l’équité dans nos cités. Mais eux se sont confinés dans des rôles de mendiants égoïstes et figurants qui enrhument le fonctionnement de la République. Résultat, ils apparaissent visiblement comme le maillon le plus ridicule et le plus asservi, administrativement assujetti dans le vrai visage de cette 5ème République à la togolaise.

Les Chefs coutumiers du Togo ont cessé depuis très longtemps d’être sages ; à force de jouer une partition de mauvaise sonorité sur une scène politique qui ne leur ressemble pas, ils prêtent le flanc à des critiques justifiées en raison du folklore indu qu’ils produisent dans la Cité. Ce sont eux qui servent de panneaux publicitaires pour les effigies du parti unique.  Ce sont eux qui servent de colporteurs de messages de campagne politique du seul parti visible sur le terrain. Ce sont eux qui servent de points-focaux pour une politique nationale d’exclusion.  Ce sont eux qui jouent un rôle de supplétifs au sein d’une équipe étrangère qui vient s’ingérer dans les affaires internes d’un groupe ethnique, au nom de leur appartenance au régime en place.  Ce sont eux qui pourchassent et même livrent leurs propres enfants aux forces de répression pour des opinions non favorables au parti unique.  Et c’est au nom de cette haute trahison de leurs populations et de leurs panthéons qu’ils sont nommés par le pouvoir public, parfois au mépris des lois de succession au trône traditionnel.

En principe, un chef traditionnel brille par sa neutralité devant la chose politique.  Mais les nôtres portent en public des tricots de campagne politique, tels des jeunes élèves dans l’uniforme d’une école primaire privée.  Ils tiennent un discours tendancieux devant leurs sujets.  Ils traitent les gens d’opposants, comme si l’opposition à un régime politique relevait d’une maladie mentale.  Nos rois sont devenus des agents de stigmatisation et de dissuasion au profit de la minorité pilleuse.  Nos rois ont vendu la gloire de leurs trônes pour des miettes malhonnêtes. Et pour s’assurer de bien échapper à une revanche terrible et sanglante d’un retour à la normalité, ils sont devenus les plus grands défenseurs du statu quo. Ils sont devenus des clowns qui entrent au Palais, tout en prenant le malin plaisir de le transformer en cirque, comme dirait ce proverbe turc.

À tous ceux qui se réjouissent, qui bénéficient, ou qui se font complices du triste triomphe de cette longue tragédie politique tropicale, fruit amer d’un demi-siècle d’échec, qu’ils sachent ceci : les âmes de nos aïeux, humiliées depuis là-haut, renaîtront tôt ou tard sous le Soleil ; elles reviendront avec une vive lumière qui mettra à nue toutes les navrantes hypocrisies qui ont cours dans nos cours royales. Et alors, les moqueries changeront de camp. Car les gardiens de nos traditions  ne sauraient éternellement jouer les amuseurs de galerie pour les serviteurs d’un régime obsédé par sa propre longévité.

Hervé Kissaou Makouya ; philosophe et écrivain

« TAMPA EXPRESS » numéro 0083 du 29 août 2025

 

 

 

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