La société kabiyè est organisée en classes d’âge masculine et féminines qui donnent lieu, pour l’homme à une initiation en deux temps –efalu (est a contraction de eyu kefalu, c’est-à-dire « homme nouveau ») vers 18 ans, kondo vers-, pour la femme à une seule initiation akpendou vers 17 ans, qui prélude à son mariage. Le jeune garçon ne devient évalu qu’après initiation. La première initiation l’introduit dans la classe des évala pour trois ans (R. Verdier, 1982, p. 73 ; N. L. Gayibor, 2011, p. 316-317) et met un terme à l’enfance. La seconde est l’affirmation de l’homme adulte, en pleine force de l’âge. À quand remontent les luttes évala et quoi la descente du tchodjo conditionnent celles-ci ?
La lutte traditionnelle évala est une cérémonie rituelle et l’une des grandes manifestations initiatiques dans la préfecture de la Kozah. Elle se déroule, la deuxième quinzaine du mois de juillet de chaque année et est l’occasion pour le jeune kabiyè de dix-huit à vingt-un ans, de se distinguer par sa force, son endurance, l’élégance de sa danse. La lutte évala consacre, en plus du passage du jeune de l’adolescence à la classe des adultes, l’affirmation de son identité culturelle kabiyè.
Pendant les trois années de leur classe (durée de lutte dans la catégorie des initiés est de trois ans à partir de l’année de l’initiation sauf les abréviations prévues par la tradition.
), les évala vont lutter entre eux à la saison des pluies notamment en juillet. La lutte traditionnelle évala est une tradition initiatique dont l’objectif est entre autres de maintenir la cohésion entre les fils et les filles du canton. Son but est de préparer physiquement et psychologiquement le jeune kabiyè à affronter les obstacles de la vie et à assurer la défense de la cité.
S’agissant de la genèse, les évala sont une pratique culturelle multiséculaire dont l’origine remonterait au milieu du XVIIIe siècle. Les premières manifestations des Evala en tant que défi ont eu lieu avec le sacre de deux personnages atypiques : un certain Tchablime du village de Kpédaw et son adversaire, Fawokézié de Kolidè. Il était singulier de remarquer chez ces deux précurseurs des luttes Evala ce qui suit : le premier avait une taille de plus de 2m, avec une corpulence herculéenne, tandis que le second ne mesurait que 1,40m. Ainsi, les premières luttes traditionnelles enregistrées en pays Kabyè datent de 1785 avec l’affrontement entre Tchablime et Fawokézié. À l’issue de ce duel historique, ce fut le myrmidon qui terrassa le colosse. Partout dans le village, le géant sera hué et moqué. Dès ce moment, dans l’intention de laver un tel affront, le virus de la compétition s’est alors propagé dans toute la Kozah (http://togocultures.com/togo-les-evala-entre-rites-initiatiques-competitions-et-fete-culturelle).
Ainsi, les évala organisent leurs championnats d’abord par quartiers, puis par villages ensuite, enfin entre villages. Il convient de préciser que la lutte traditionnelle n’étant pas une compétition mais plutôt une manifestation festive, elle se déroule en plusieurs phases et, au fur et à mesure, coalitions se forment jusqu’à la finale. Chaque lutteur a droit à deux combats de lutte au moins avec des adversaires différents du camp opposé. La victoire honorifique dans chaque catégorie revient au camp dont le lutteur a terrassé en premier et la victoire numérique revient au camp ayant enregistré le plus grand nombre de victoire (K. E. Sama et al., sd, p. 7).
Les tournois sont très populaires et suivis par une assistance nombreuse et joyeuse. R. Verdier (1982, p. 77-78) décrit une partie de lutte en ces :
« Le corps enduit d’huile de karité, ils se rendent en dansant au lieu de la lutte où la foule des parents et amis les entoure et les exhorte par des chants d’encouragement. Divisés en deux moitiés rivales, les lutteurs se mettent en lignes et s’affrontent par quatre ; chacun choisit à distance son partenaire de l’autre camp et, au signal de l’arbitre situé au centre, ils s’approchent les uns des autres et engagent le corps à corps ; par des prises de bras et de jambes, chacun tente de déséquilibrer l’adversaire et de le faire tomber. Le vainqueur est celui qui réussit par la ruse ou par force à terrasser son partenaire et à lui plaquer le dos contre terre. Le combat oppose d’abord les awasa puis les efala de l’année, puis ceux de la deuxième année, enfin ceux de la troisième année. Les vainqueurs s’opposent ensuite entre eux ; le champion est porté en triomphe ».
Il faut nuancer cette description. Les combats spectaculaires peuvent se dérouler par équipe de cinq lutteurs. Comme l’illustrent les photos ci-dessous, ces derniers s’affrontent et s’empoignent torses nus sous regard crispé des parents et amis mais aussi des touristes et curieux venus les encourager au son de gongs, castagnettes et tam-tams (Linitiateur Evala 2017, p.8).
Source : Linitiateur Evala 2017, p. 9.
Pendant huit jours, les évala se livrent à des empoignades. Après les tours préliminaires et éliminatoires dans les sanctuaires, les quarts de finale, les demi-finales et les finales. Les lutteurs, torses nus, se distinguent, selon leur équipe, par des shorts de couleur blanche, rouge ou verte frappés des noms de sponsors (le port des shorts relève de la modernité). L’ambiance dans les arènes est toujours festive et frénétique. Les combats sont ponctués de cris d’encouragement de la part des supporters ainsi que des clameurs de la foule nombreuse et surexcitée.
Le prêtre traditionnel joue un rôle déterminant dans le déroulement des évala en effectuant les rituels en lien avec ceux-ci. Véritable chef spirituel, le tchodjo annonce en effet le début des cérémonies de la fête évala et toutes autres fêtes traditionnelles par un rituel appelé « descente du tchodjo » de Tchinlinlao (Bénin) à Lao en passant par Farindè (Binah) et Kouméa. D’ailleurs, les dates auxquelles se tiennent les cérémonies sont fixées par les consultations des oracles suivies de l’autorisation accordée par les grands prêtres appelé « Tchodjo ». Après les luttes, les prêtres traditionnels font une tournée dans les lieux sacrés pour remercier les ancêtres d’avoir permis la cérémonie.
En somme, les empoignades auxquelles tout visiteur du pays kabiyè assiste au mois de juillet de chaque année, marque l’apothéose de tout de tout un rituel bien organisé. Au-delà de leur aspect spectaculaire, elles constituent, à n’en point en douter, le tréfonds de la socialisation du jeune kabiyè. Cérémonie rituelle à dimension multiple, évala consacre non seulement le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais également l’affirmation de l’identité culturelle Kabyè. La finalité première du rite Evala est d’habituer le jeune Kabyè à l’endurance, au courage, à l’abnégation et au stoïcisme dont l’aspect culturel est rehaussé par les sacrifices que l’initié doit consentir : le jeûne, l’abstinence sexuelle et les scarifications qui sont les signes extérieurs de défenseur de la cité. Ainsi, le rite initiatique est constitué d’attrapades, d’internements et d’autres cérémonies bien plus éprouvantes.
Références bibliographiques
GAYIBOR Nicoué Lodjou (éd.), 2011 : Histoire des Togolais. Des origines aux années 1960.
Tome 1 : De l’histoire des origines à l’histoire du peuplement ; Karthala- Presses de l’UL, 716 p.
SAMA Kpiki Essoham et al., inédit, Projet de règlement de la lutte traditionnelle évala dans le canton de Pya,
VERDIER Raymond, 1982 : Le pays Kabiyè, cité des dieux, cité des hommes ; Éditions
Karthala, Paris, 215 p.
AGBONA Jean Florentin, 2016, Les Evala : entre rites initiatiques, compétitions et fête culturelle ; http://togocultures.com/togo-les-evala-entre-rites-initiatiques-competitions-et-fete-culturelle/
Linitiateur Evala 2017, 36 p.
B. Douligna